Virginie Efira est à l'affiche du très beau "Rien à perdre", dans le rôle d'une mère prête à tout pour récupérer son plus jeune fils placé en foyer. On a parlé avec elle de ce film, de ce nouveau rôle de mère, de sa méthode, de son César... Rencontre avec une actrice au sommet de son art.
Une nouvelle performance intense de Virginie Efira
Dans Rien à perdre, premier long-métrage de fiction de la documentariste Delphine Deloget, Virginie Efira incarne Sylvie, qui vit à Brest avec ses deux garçons, Jean-Jacques et Sofiane. Un soir, Sofiane, le plus jeune, se brûle en utilisant une friteuse, alors qu'elle est à son travail. Jean-Jacques le conduit à l'hôpital mais, parce qu'elle était absente à ce moment, l'hôpital fait un signalement automatique au parquet.
À partir de là, un engrenage judiciaire s'enclenche, et Sofiane est placé en foyer. Sylvie va alors tout faire pour le ramener à la maison, en lutte contre un système administratif qui menace de faire exploser son foyer.
Dans ce rôle, accompagnée d'un casting réunissant notamment Félix Lefebvre, India Hair et Arieh Worthalter, Virginie Efira réussit une nouvelle performance inspirée, intense et haletante, naviguant aux confins psychologiques et physiques d'une mère qui n'a plus "rien à perdre". On l'a rencontrée.
Rien à perdre se déroule dans une ville et dans un milieu socio-culturel que l'on montre rarement au cinéma, qui apparaît très authentique.
Virginie Efira : Il y a une grande acuité dans la façon dont Delphine Deloget dépeint ces milieux, elle regarde très précisément à un endroit. C'est une peinture sociale sans misérabilisme, ce n'est pas : "regardez, ils n'ont pas beaucoup d'argent", mais plutôt montrer comment les gens se débrouillent avec leurs moyens, comment on fait société malgré tout.
Ça raconte un milieu qui fait bloc avec le personnage principal. Et peut-être qu'appeler son fils Jean-Jacques, c'est aussi dépasser les clichés, ne pas succomber aux modes, c'est vivre son propre récit sans s'en raconter un autre.
Vous avez incarné ces dernières années des "mères" au profil complexe, comme dans Madeleine Collins, Les Enfants des autres, ou encore En attendant Bojangles. Comment définiriez-vous celle que vous interprétez dans Rien à perdre ?
Virginie Efira : C'est un éloignement du stéréotype et du bon sentiment qui voudrait qu'une mère par essence ne serait que dans le bon, s'éloigner d'une vision sacralisée de la mère. Dans ces différents films, des pôles terribles se côtoient, et c'est toujours génial d'explorer la maternité, c'est une chose vaste et très constituante, pour un enfant qui grandira et pour soi. Je crois que là j'aime l'ambivalence, de nouveau, je crois que c'est le point commun. Quand on voit ce à quoi cette mère est confrontée, on ne peut pas limiter le camp du bien et du mal.
J'aime aussi son imperfection, sa lutte jusqu'au bout, c'est une énergie que je n'avais pas jouée auparavant. Et grâce à l'écriture de Delphine Deloget, le personnage n'est pas stéréotypé et ne semble pas servir une intrigue, un scénario. C'est-à-dire que c'est depuis elle que les situations arrivent, ce n'est pas le personnage qui se colle à des situations, qui suit un chemin. Le personnage n'est pas cadenassé.
Vous êtes entourée au casting de partenaires talentueux, notamment de Félix Lefebvre, qui s'est métamorphosé pour incarner votre fils Jean-Jacques. Avez-vous une méthode particulière pour aborder vos personnages ?
Virginie Efira : C'était impressionnant de voir Félix prendre autant de poids pour le rôle. Ça m'a fait réfléchir sur ma propre préparation (rires).
Chaque film nécessite une préparation différente. Parfois, il est important de travailler beaucoup sur un rôle, et parfois, il faut juste sentir le fil du personnage et ne pas trop théoriser. Pour moi, sur "Rien à perdre", le travail a consisté à apprendre le texte longtemps à l'avance et à arriver sur le plateau prête à improviser.
Delphine cherchait un endroit de vérité, tout en s'intéressant à la fiction. En tant qu'actrice, j'avais ainsi une certaine liberté dans ce que je pouvais proposer, dans les mouvements que je pouvais faire, même en retrait de la caméra.
Rien à perdre mélange plusieurs genres, et bascule à un moment pleinement dans le thriller, avec le coup de tête que votre personnage assène à celui d'India Hair.
Virginie Efira : C'est un moment pivot du film. Mais pour moi, le moment-clé est quand mon personnage montre ses seins pour éloigner la police. Ce geste symbolise un basculement, une perte de contrôle. C'était important d'être en accord avec le scénario et la réalisatrice sur ce mouvement, pour ne pas paraître ridicule. Le coup de tête, lui, était presque burlesque, très jouissif à faire. J'adore India Hair, et je m'entendais très bien avec elle sur le tournage. Elle joue bien ce rôle légèrement irritant, et le coup de tête représentait presque une réaction que le public aurait pu avoir.
Vous avez obtenu cette année le César de la Meilleure actrice pour votre performance dans Revoir Paris. Est-ce que ça a changé quelque chose ?
Virginie Efira : Non, parce que ce n'était pas du tout une visée pour moi. Je ne me disais pas : "attends, une fois que ça sera fait, tout ira bien". J'avais été nommée plusieurs fois, et les gens se sentaient obligés de me consoler, ce qui est vraiment l'enfer : "Ça va ? Pas trop triste ? Pas trop déçue ?" Et moi je répondais : "bah non, ça va en fait". On ne m'a rien enlevé.
C'est un plus, mais le réel plaisir dans ce métier, c'est déjà quand on arrive à faire quelque chose collectivement, d'essayer de trouver quelque chose ensemble. C'est à ce moment-là où le bonheur est palpable, le plaisir est palpable. Il l'est moins dans le fait d'avoir un prix. C'est très joyeux, mais ça ne devrait pas être une tragédie si on n'en a pas.
Je me disais justement que le fait d'être nommée plusieurs fois, ça veut dire que vous avez des personnages bien écrits, bien pensés. Et ça, c'est une chance. Enfin, je dis ça, et en même temps je me souviens que je l'ai laissé chez moi à un endroit où ça fait comme s'il était caché, mais tout le monde peut quand même le voir. Donc il doit quand même y avoir une légère fierté...