Karin Viard (Une mère) : "Quand tu veux être actrice depuis l'enfance, tu veux l'être pour ce genre de rôles"

Rencontre avec l'actrice principale du thriller "Une Mère"

Karin Viard (Une mère) : "Quand tu veux être actrice depuis l'enfance, tu veux l'être pour ce genre de rôles"

Avec "Une mère", Karin Viard se montre dans le rôle d'une mère qui ne voit que la vengeance pour conclure le deuil de son fils. Un rôle ambigu pour un thriller tendu, première réalisation de Sylvie Audcoeur, et l'occasion de la rencontrer pour évoquer avec elle ce film, du travail avec son jeune partenaire, ce qui la séduit dans le cinéma... Rencontre.

Karin Viard à l'affiche d'un thriller tendu

Avec une carrière débutée au cinéma dans Tatie Danielle en 1990, et depuis une grande filmographie qui lui a déjà apporté 3 César pour 13 nominations, Karin Viard est une actrice prolifique et une des figures féminines les plus connues du cinéma français. Actuellement à l'affiche du thriller Une mère de Sylvie Audcoeur, récit très réussi d'une mère obsédée par venger son fils battu à mort pour un motif futile, qui va se rapprocher du meurtrier de son fils pour se faire justice...

Elle s'illustre dans le rôle de ce personnage ambigu, où le désir de vengeance n'annule pas la possibilité d'un pardon. On a pu la rencontrer pour lui poser quelques questions sur ce film, ce qu'elle aime chez les réalisateurs et réalisatrices, son travail avec le jeune acteur Darren Muselet, etc..

Une mère
Une mère ©Memento Distribution

Rencontre avec Karin Viard

C'est une première fois avec Sylvie Audcoeur, qui réalise son premier long-métrage avec Une mère. Comment votre collaboration s'est-elle faite ?

Karin Viard : Je connaissais Sylvie, on a commencé ensemble comme actrices, et je l’apprécie beaucoup. Elle me dit un jour « tu sais, j’écris un film pour toi. » J’aime pas tellement quand on me dit ça, je ne me sens jamais à la hauteur, je me demande ce qu’on va me proposer. Est-ce que je vais être capable ? Et si ça me plaît pas ? C’est pas un truc très positif pour moi, en général.

Mais je reçois le scénario, je le lis et je dis oui. C’est très simple, quand comme moi tu veux être actrice depuis l’enfance, tu veux l’être pour ce genre de rôles. Pour jouer des rôles forts, et là il y a de la matière.

Une Mère a cette grande qualité d’avoir plusieurs couches, de l’ambivalence. Les sentiments ne sont pas blancs ou noirs, c’est plutôt une multitude de gris. Plus le film avance, plus il y a de la subtilité, des contradictions, du doute. Émotionnellement c’est sophistiqué, et j’adore ça.

Vous êtes apparue dans beaucoup de premiers longs-métrages, notamment de réalisatrices. Est-ce simplement un hasard ?

Ça se fait comme ça. Qu’un film soit un premier n’est pas une raison suffisante pour le refuser. Je n’ai pas une appétence particulière pour les premiers films. Mais j’aime l’audace, le côté radical qu’il y a parfois, le côté hors-système. Après que ce soit des femmes, c’est un hasard je pense, je n’ai pas de critères de choix de cet ordre.

Quel est alors votre critère ? Quelle approche de réalisation vous séduit ?

Philippe Garrel avait dit dans une interview : « les acteurs pensent toujours qu’on les filme en train de faire, alors qu’on les filme en train de penser. » Pour Une mère, Sylvie m’a filmée en train de penser. Et ça je l’ai senti très vite, et j’en ai profité. On a fait ça main dans la main. Elle suscite chez moi une grande admiration, elle a une radicalité et une honnêteté morale que je trouve assez dingue. Elle ne va pas du côté putassier.

Sylvie filme des gens qui pensent, et c’est important aujourd’hui dans le cinéma, saturé d’effets spéciaux, de scénarios sur-élaborés. Là tu places une caméra devant une actrice et tu la filmes en train de penser. C’est costaud !

C’était semblable avec Sólveig Anspach , même si ses films étaient moins dramatiques. J’adorais travailler avec elle pour ça. Parce que j’avais l’impression que je ne devais pas fournir, mais juste être. Et quand tu es, tu te laisses traverser par les choses, à ton rythme. Quand on joue un personnage truculent, qui fait des choses, il faut fournir. Ce qu’on fait avec sincérité, subtilité, sophistication aussi, mais ce n’est pas pareil. Le travail est différent, pas plus facile ou moins facile, simplement différent.

Comment avez-vous incarné Aline, une mère en deuil qui cherche une vengeance ?

Il y a forcément de moi : déjà ma voix, mon physique, mon énergie. Sylvie savait exactement ce qu’elle voulait, mais elle sait déléguer aussi. Elle m’a offert ce rôle d'Une mère, et elle n’a pas fait semblant. J’ai compris ce qu’elle voulait et j'ai essayé d’y coller au plus près.

Après, la mère que je suis n’a rien à voir avec cette mère, mais il faut quand même aller puiser à l’intérieur de soi. Là tu ne peux pas dire « cette histoire n’est pas la mienne, le personnage ne m’appartient pas », comme ça peut arriver par ailleurs, tout en étant très bien. Mais là il faut aller chercher dans son intériorité, ses sentiments, c’est difficile parce porter pendant sept semaines une mère en deuil de son fils et qui veut se venger et tuer quelqu’un… Tu te couches avec elle et tu recommences le lendemain, avec parfois des scènes compliquées. Ça te rince, ça épuise. Mais bon, cette douleur et cette difficulté nourrissent le personnage. J’étais quand même contente de la quitter (rires).

Vous formez avec Darren Muselet un formidable duo antagoniste, comment était-ce de travailler avec lui ?

Darren est un jeune homme qui ressemble au personnage. Il est très viscéral, il a une certaine violence en lui. Mais il a une intelligence et une sensibilité qui j’espère vont lui permettre d’être un acteur. Là, pour Une mère, il a été pris pour ce qu’il est, et je pense lui avoir un peu montré le chemin pour devenir un acteur, réfléchir, analyser, prendre de la distance, imprimer une intelligence, un regard.

Une mère
Maxime (Darren Muselet) - Une mère ©Memento Distribution

Il a envie d’apprendre, et j’espère qu’il va devenir un acteur confirmé. C’est un garçon irrésistible, à la fois naïf et mignon, et fracassé par ailleurs, maltraité. Il est donc bourré d’épines. En tant que partenaire, il y a une responsabilité. Il faut le chérir, le guider, lui donner confiance. J’espère m’être bien occupée de lui.

Vous retenez une séquence particulière du tournage d'Une mère, un moment décisif ?

J’ai ce souvenir, la scène d’ouverture d'Une mère, celle où je crie en sortant du tribunal. On l’a faite dans le derniers tiers du tournage, et j’appréhendais. C’est la scène d’ouverture, c’est celle qui fait rentrer dans le film, et il y a ce cri. La nature du cri… J’avais conscience que la note devait être absolument juste, et j’appréhendais parce qu’il ne fallait pas se rater. C’est par ce cri qu’on rentre dans le film, on la découvre comme ça puis on la retrouve cinq ans après. Si tu rates ce cri... J’avais conscience de ça et ça me faisait peur. Parce que si tu rates ce moment, tu rates tout.

 

Propos recueillis par Marc-Aurèle Garreau le 17 mars 2022.