Le Grand bain: rencontre avec Gilles Lellouche et Guillaume Canet

Le Grand bain: rencontre avec Gilles Lellouche et Guillaume Canet

A l’occasion de la sortie en salle ce 24 octobre de « Le grand bain », nous avons rencontré le réalisateur Gilles Lellouche, accompagné de l’un de ses acteurs, Guillaume Canet.

Avec Le grand bain, le comédien Gilles Lellouche offre au spectateur une aventure humaine jubilatoire.– voir notre critique.

Nous l’avons rencontré à Bordeaux et il nous a longuement parlé de ce qui l’a inspiré dans le sport amateur pour construire son film, de la façon dont il a réfléchi aux trajectoires internes propres à chaque personnage, mais aussi du choix des comédiens qui proviennent de différents univers. Quant à Guillaume Canet, il a évoqué son plaisir à être dirigé par son ami et à composer son personnage et ce qu’il a enduré pendant le tournage. Une rencontre passionnante.

Comment vous est venue cette idée originale de cette équipe de natation synchronisée ?

Gilles Lellouche : Je voulais parler du sport amateur, un des rares bastions où toutes les catégories sociales se mélangent et où il y a encore un échange possible à travers les gens. Je trouve toujours admirable les gens qui vont faire du foot ou du rugby en amateur, qui sortent de chez eux alors qu’il fait froid et nuit. Il y a forcément quelque chose qui dépasse l’idée même du sport et du but commun sur un terrain. C’est plus de l’ordre de la rencontre, de se raconter dans les vestiaires et enfin d'être autour d’une bière lors d’une 3ème mi-temps. J’avais évidemment envie de trouver un sujet, une discipline originale. Je suis tombé sur un documentaire il y a 5-6 ans sur Arte d’un groupe d’hommes qui faisaient de la natation synchronisée en Suède et j’ai trouvé ça magnifique, très atypique. Je suis intimement convaincu de l’importance du collectif, et le fait de se prendre les poignets et les jambes et de créer une véritable chaîne humaine correspondait en tout sens à ce que je voulais faire. 

Faut-il pour faire ce film, comme le dit le personnage de Delphine (Virginie Efira), lâcher la fille qui est en soi ?

Gilles Lellouche : Il y a une mise à nu dans tous les sens du terme. Même si je n’ai pas écrit le film dans cette optique, je crois qu’être un homme aujourd’hui, c’est plutôt assumer sa part de féminité. J'avais envie de montrer des conversations aux antithèses de ce qu’on peut imaginer, plus sensibles, et féminines. J’avais envie de déviriliser ces hommes en leur faisant faire d’une catégorie sportive féminine et dont on peut se moquer – ce qui les soude encore plus. Et a contrario je voulais des personnages féminins un peu masculinisés, très forts, peut-être trop.

Les hommes ont donc le droit d’être fragiles ?

Gilles Lellouche : Les hommes ont toujours été fragiles, mais c’est la représentation qu’on en fait qui ne l’est pas. Les hommes de 50 ans d’aujourd’hui font du skate, du surf et écoutent du rap. Dans les films de Claude Sautet, on avait aussi des hommes fragiles et féminins, mais ce n’était pas la même forme. Aujourd’hui on enlève juste la carapace de l’homme viril.

Êtes-vous de tout de suite parti sur l’envie de faire rire ?

Gilles Lellouche : J’avais commencé avec un auteur avec lequel j’ai assez vite été en désaccord parce qu’il voulait absolument faire de la comédie. Au bout de trois minutes, il y avait déjà quatre vannes, et je n’avais absolument pas envie d’entrer là-dedans. Je savais que je voulais faire un film porteur d’espoir, avec des personnages honnêtes et probables, sans avoir besoin de forcer le trait. J’ai assumé une première partie qui n’est pas dans le registre de la comédie mais plus sur le quotidien des personnages. Puis quand vient l’annonce du championnat, le groupe évoque et convoque une certaine euphorie, et donc la comédie. Comme l’envolée un peu lyrique d’une comédie musicale, car la natation synchronisée, c’est à la fois désuet et moderne, très poétique et très visuel. J’avais vraiment envie d’un mélange des genres, sans étiqueter mon film ni un drame, ni une comédie. J’avais envie de faire un film libre. 

Avez-vous pensé aux acteurs dès l’écriture ?

Gilles Lellouche : Non pas vraiment, parce que par expérience depuis Narco, mon premier film, j’avais pensé à des acteurs et quand ils vous disent non, vous n’avez pas encore commencé votre film que vous êtes déjà un peu amputé d’un rêve. C’est pas mal de d’abord écrire les personnages de façon la plus objective et ensuite d’aller chercher les acteurs les meilleurs pour le rôle. Le casting se construit petit à petit, comme une espèce de saupoudrage et de dosage pour parvenir à la cohésion du groupe. Les deux personnages que j’ai eus en premier ont été Mathieu Amalric et Guillaume Canet. Puis Jean-Hugues Anglade, qui est tellement bouleversant, s’est naturellement imposé à moi. Ensuite j’ai cherché un comédien plus en couleur, donc Benoît Poelvoorde. Puis pour équilibrer avec un personnage plus enfantin, d’où Philippe Katerine. J’avais une vraie volonté de briser les chapelles et de casser les familles de cinéma dites populaires que je trouve un peu inhibantes et contraignantes et loin de l’image que je me fais du cinéma. Je voulais pourvoir me balader dans tous les univers et ne surtout pas étiqueter le film, comme une comédie populaire. Je trouvais joyeux d’avoir plein de variations possibles dans le même groupe. Au même titre, pour le beau-frère de Mathieu Amalric, je n’ai pas été chercher son antithèse cliché mais Jonathan Zaccaï, acteur qui n’est pas si loin physiquement, mais totalement différent au fond. Je voulais trouver une cohérence probable.

Vous semblez avoir pris beaucoup de plaisir à nuancer vos personnages ?

Gilles Lellouche : Oui, c’était vraiment très ludique d’avoir des circonstances atténuantes, des explications, pas forcément des justifications. Surtout de perdre un peu le spectateur, de ne pas avoir des routes toutes tracées, comme pour le personnage de Delphine (Virginie Efira) ou de Laurent (Guillaume Canet) qui s’est d’ailleurs – et je ne le remercierai jamais assez- spontanément proposer de jouer ce perso qui est le plus dur du film. Parce ce que le moins aimable, le plus torturé, le plus nerveux, et que c’est très compliqué pour un acteur de se retrouver dans un film choral et de voir ses camarades qui ont la part belle aux blagues. Je le trouve formidable car on a souvent en tant qu’acteur des moitiés de trajectoires psychologiques, et on n’a pas d’explications. Je me suis penché avec mes scénaristes sur la question des trajectoires internes et des petites histoires dans la grande histoire.

Guillaume Canet : J’aime les personnages qui ont des failles, et j’adore l’idée qu’on aille un peu gratter pour essayer de comprendre pourquoi il ne va pas bien. J’ai toujours du mal à me dire que quelqu’un naît mauvais, je pense qu’on a des accidents qui nous abîment. Laurent a grandi avec cette mère très particulière et cette gestion des sentiments. Ça fait de lui quelqu’un qui s’empêche et qui n’est pas à l’aise avec ses émotions, il ne sait pas exprimer son amour à sa famille. J’étais attiré par ce personnage, parce que je trouvais qu’il y avait quelque chose d’intéressant, même dans la manière dont il évolue. Je le trouve finalement assez proche de moi, dans le côté casse-burnes et rigoureux qui veut absolument que tout soit bien fait.

Parlez-nous du personnage de Thierry ?

Gilles Lellouche : Philippe Katerine, c’est quelqu’un qui m’intrigue et dont je suis la carrière. Je pensais à lui pour un autre rôle mais quand je l’ai rencontré, je me suis dit que je ne pouvais pas trouver mieux que lui pour le rôle de Thierry, car il a ce truc enfantin très touchant, on dirait un personnage de BD. Les coups malsains que Thierry a reçu de son beau-père en font un enfant qui a mal grandi, un personnage cabossé qui a peur de l’extérieur et est très seul, qui vit dans sa piscine et par procuration les dîners des autres.

D’où vous est venue cette idée du personnage autoritaire et très drôle de Leila Bekhti ?

Gilles Lellouche : Je voulais créer un binôme d’entraîneuses, avec l’une qui soit plus dans la beauté intellectuelle et représente la philosophie du sport, en lisant des textes littéraires et en faisant écouter des opéras. Et l’autre qui soit dans la rigueur absolue de l’entraînement. Je voulais qu’elles soient très abîmées toutes les deux. Je voulais en faire l’antithèse de ce qu’on a l’habitude de voir avec les personnages handicapés, qui sont toujours très sympas. Je voulais en faire un nazi. Et j’ai aussi été inspiré par le fait que les entraîneuses de natation synchronisée, pour donner le la, tapent avec une règle sur les échelles en acier pour faire écho dans l’eau et donner des repères acoustiques.

Pouvez-vous nous parler du titre ?

Gilles LelloucheSauter dans le grand bain, c’est quand on dit à un enfant tu es prêt, c’est à la fois une promesse attirante et une crainte, parce qu’on peut s’y noyer. J’ai ensuite regardé plein de films des années 50 avec Esther Williams et quand j’ai vu les rosaces avec les mains qui s’entraident, ça m’a parlé, ces types très seuls qui s’entraident dans la vie. C’est un film sur la solidarité, sur l’écoute. Contrairement aux idées reçues, je crois que les hommes ne parlent pas que de cul et de voitures. On a aussi des conversations sur nos peines, nos couples.

Guillaume Canet : Les vestiaires c’est aussi un peu comme une analyse, un prétexte après l’entraînement pour que chacun dise ce qu’il a sur le cœur et se mette à poil.

Vous abordez la difficulté de façonner son destin et de croire en ses rêves?

Gilles Lellouche : Quand j’étais en cours de théâtre à 20 ans, j’avais des très bons copains, que je vois toujours, qui étaient des très bons comédiens, et qui ont fait le choix de vie de devenir acteur. C’est quoi votre vie quand vous avez tout misé sur le rouge et que c’est le noir qui sort ? Un acteur de 45 ans qui n’a pas percé, sans pour autant être devenu une star mais qui ne vit pas de son métier, qui est encore obligé d’être serveur dans un restaurant, je pense que c’est une tragédie. J’avais envie de montrer la faille d’un homme de 45-50 ans qui n’a pas réussi à aller au bout de ses rêves, ou qui est en échec familial.  C’est très beau de vouloir être fidèle à ses rêves, mais il faut aussi savoir les abandonner à un moment donné. C’est aussi beau de les garder, mais il y a cette ambiguïté et ce manque de choix, car le temps passant, on peut se retrouver dans une impasse et on n’a plus d’autre choix que d’être fidèle à son rêve. J’avais envie en effet de parler de ça, car ça me touche beaucoup.

Vous montrez un regard sans condescendance que Lola (Noé Abita) porte sur son père Simon (Jean-Hugues Anglade) ?

Gilles Lellouche : C’est aussi un constat du temps qui passe et du constat qu’on peut donner à ses enfants, qui ont cette lucidité d’arriver à un âge ou de regarder leurs parents tels qu’ils sont, stars ou pas stars. Car les parents ne peuvent plus leur raconter d’histoires. Avec la double peine d’avoir son père qui travaille dans la cantine de son école. J’avais envie de raconter l’histoire d’un père qui n’attend qu’une chose c’est d’avoir la reconnaissance et la fierté de sa fille, qui court après ça. Car elle a honte de cette caravane. Tout ce qu’il va faire avec cette natation, c’est pour un jour briller dans le regard de sa fille. Et c’est ce regard-là qui va lui donner un regard adulte sur lui-même. 

Le sujet de la honte qu'éprouvent au début les personnages a-t-il été un point d’entrée pour vous ?

Gilles Lellouche : Je ne pense pas que mes personnages aient honte, ils sont surtout en perte d’illusions et en perte d’espoir, comme une espèce d’encéphalogramme plat. C’est comme si ce qui se passait dans ce film était un mini électrochoc, une petite secousse qui ferait battre le cœur à nouveau. Mes personnages vont respirer à nouveau. C’est que j’explique dans mon film, pour peu qu’on le veuille, on peut faire entrer un rond dans un carré.

Guillaume, comment avez-vous vécu ce tournage sportif ?

Guillaume Canet : On a eu une longue préparation pour les chorégraphies à l’Insep. Puis les quinze semaines de tournage ont été éprouvantes, parce qu’on tournait de nuit parce que les piscines ne peuvent pas être fermées le jour. Il fallait faire avec le chlore, le froid, le bruit. On avait tous la sensation de savoir qu’on était en train de faire un très bon film, la conviction de ce qu’on est en train de raconter. Parce que déjà quand on fait un film, c’est parce que ça nous parle, ça nous touche, ça nous émeut. Tous ces personnages résonnent en nous, on peut s’identifier à eux.

Guillaume, quand on est aussi un réalisateur, n’est-ce pas frustrant de ne pas donner son avis sur un film ?

Guillaume Canet : Absolument pas, d’abord parce que Gilles est un metteur en scène qui sait exactement ce qu’il veut et fait. Il a une façon de filmer qui lui est propre et une vision de découpage de plan très précis. Et ce n’est pas du tout dans mes habitudes en tant qu’acteur d’avoir envie de ça. Je m’arrange pour ne pas accepter les films qui pourraient me mettre dans ces situations de devoir donner mon avis. Je ne m’engage pas avec un metteur en scène qui ne semble pas savoir ce qu’il fait. Même si je devais me poser des questions, Gilles ne laisse de toute façon pas cette place-là. 

On sent que vous vous êtes éclaté à choisir les chansons de la bande-originale ?

Gilles Lellouche : J’ai eu toutes les musiques que je voulais, parce que j'avais prévu une petite caisse pour les heures supplémentaires, que je n’ai pas fait, j’ai donc pu m’éclater pour une super BO et un super compositeur Jon Brion.

Comment expliquez-vous que la piscine soit un lieu aussi cinématographique ?

Gilles Lellouche : Ce sont les lignes de perspective, c’est très graphique et le reflet de l’eau donne une sublime lumière. La piscine, c’est parfait pour moi qui suis un peu psychorigide du cadre et qui aime les choses très au cordeau.

 

 

Le grand bain de Gilles Lellouche, en salle le 24 octobre 2018. Ci-dessus la bande-annonce.