Le Prince oublié : rencontre avec Michel Hazanavicius et Bérénice Bejo

Le Prince oublié : rencontre avec Michel Hazanavicius et Bérénice Bejo

À l’occasion de la sortie en salles le 12 février 2020 du film «Le Prince oublié », nous avons rencontré Michel Hazanavicius et Bérénice Bejo pour évoquer les petits secrets de fabrication du film.

Le Prince oublié est un film ambitieux qui fait cohabiter les deux univers de la vie réelle et de la vie imaginaire, et qui touche par son thème universel de la nostalgie de l’enfance. – voir notre critique.

Nous avons rencontré le réalisateur Michel Hazanavicius et l’actrice Bérénice Bejo, lors de la présentation à Bordeaux du film Le Prince Oublié. Couple à la ville comme à l'écran, ils nous ont parlé avec beaucoup de sincérité et d’admiration mutuelle, de leur façon de collaborer ensemble ainsi que du rôle de la fiction dans notre société actuelle. Le réalisateur a évoqué le choix évident d’Omar Sy et ce qu’il apporté à son personnage double du Prince et de Djibi, papa un peu perdu face à sa fille qui grandit. Mais aussi sur les publics auxquels le film, véritable épopée, se destine : les enfants, les parents mais aussi les grands-parents.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans le scénario écrit par Bernard Merle, que vous avez retravaillé par la suite ?

Michel Hazanavicius : Ce qui m’a attiré dès la lecture du scénario, c’est de parler de choses universelles, banales et quotidiennes, et comment un papa doit accepter que son enfant sorte de la petite enfance. Avec l’idée de rendre spectaculaire et épique, sous la forme d’une aventure, d'une épopée, des conflits plus intimes et de l’ordre de la famille. Le procédé de narration permet de faire ressentir ce passage à la pré-adolescence.

Comment Omar Sy est-il arrivé sur le casting ?

Michel Hazanavicius : Cette idée de faire appel à Omar était tellement évidente : il a une humanité plus grande que nature et il rend tout à fait plausible et touchant ce moment de générosité d’un papa qui doit accepter de faire un pas en arrière et d’abandonner son emprise sur son enfant pour qu’il devienne un individu à part entière. En plus, le fait que ce soit un peu plus grand que nature permet justement le positionnement du film dans l’univers du conte. Il est à la fois contemporain, urbain, réaliste et permet une forme de poésie, de tendresse et de délicatesse qui fait que le film bascule du côté du conte.

A-t-il accepté tout de suite le rôle ?

Michel Hazanavicius : Omar a lu le scénario que j’avais reçu, mais il avait un petit peu peur d’une trop grande ressemblance avec son personnage de papa d’une petite fille dans Demain tout commence de Hugo Gélin. Pourtant les histoires que traverse le personnage de Djibi, les thèmes et le genre de Le Prince Oublié sont extrêmement éloignés. Ça… et porter un collant le freinaient un petit peu (rires). Je lui ai parlé de ma façon de voir les choses, j’ai écrit ma version et c’était finalement le bon projet pour concrétiser une envie commune de travailler ensemble. Un acteur, quand bien même il respecte ce qui est écrit, amène le personnage vers lui, et Omar est évidemment une composante importante de ce personnage, au même titre que Bérénice amène ce côté pétillant, frais, décalé et charmant au sien.

Pouvez-vous justement nous parler du personnage de Clotilde ?

Bérénice Béjo : C’est un peu une fée qui n’habite pas loin. Le père ne la voit pas alors que la petite fille la remarque tout de suite. C’est le personnage que tous les spectateurs aiment car ils savent qu’elle va sauver la situation et qu’elle est la bonne personne pour aider le papa. C’est la comédie romantique par excellence : deux personnes qui ne savent pas qu’elles vont être bien ensemble et le chemin qu’elles doivent parcourir pour se rencontrer. La voisine va aider le père à comprendre sa fille, la laisser grandir, lui laisser de l’air et s’occuper un peu de lui.

Avez-vous participé à la construction de votre personnage ?

Bérénice Béjo : Un petit peu parce qu’au premier scénario, je n’aimais pas trop le personnage. Michel l’a retravaillé, et on a collaboré. Ce sont des collaborations de couple, comme on en a tous. Et puis, la femme a une belle place dans la filmographie de Michel, et c’est souvent un homme qui a besoin d’être aidé. Un homme qui est, soit aimé, soit respecté, et qui se retrouve dans des circonstances particulières où sa vie est un peu chamboulée. Dans The Artist il est sauvé par une jeune femme, dans The Search c’est aussi une jeune femme qui aide le petit garçon, dans Le Redoutable, la femme de Godard est quand même à un moment donné peut-être plus maligne que lui. Dans OSS, 117 c’est Larmina qui l’aide à résoudre le problème.

Michel Hazanavicius : On parle beaucoup, et avoir près de soi un regard à la fois bienveillant et sans complaisance, c’est rare. Les producteurs l’ont aussi mais Bérénice connaît bien mon processus. Un film, c’est un truc en mouvement jusqu’à ce qu’il soit terminé, c’est une œuvre qui bouge. La consultation « bérénicienne » m’est tout fait profitable. C’est une très bonne lectrice, même sur d’autres films. Ce n’est pas tant de l’écriture que de la maïeutique : elle aide vraiment le réalisateur ou le scénariste à sortir de lui-même.

Comment avez-vous trouvé les deux actrices qui incarnent Sofia (Keyla Fala à 8 ans et Sarah Gaye à 12 ans) ?

Michel Hazanavicius : Il n’y a pas d’acteurs professionnels à cet âge-là, on a donc vu un peu plus de 2000 enfants pour caster les personnages de Sofia et celui de Max (Néotis Ronzon). Et on a choisi celui dont on pensait qu’il serait intéressant que le personnage ressemble à cet enfant, à son visage et à son charme.

Vous dites que c’est un film pour les enfants, mais c’est aussi un film pour les adultes puisque est abordé le fameux complexe d’Œdipe ?

Michel Hazanavicius : C’est un film pour les enfants, mais pas exclusivement. Les enfants voient un film divertissant qui les touche, et il y a deux identifications de leur part : à la petite fille mais aussi au Prince. Il se reconnaissent dans ce personnage joyeux qui ne comprend pas ce qui se passe et qui subit des décisions qui le dépassent. Car le Prince est incapable de mentir et non seulement il ne comprend pas ce qu’il lui arrive, puisqu’il est bloqué dans ce monde des histoires, mais il ne le contrôle pas. Le fait de ne pas comprendre l’histoire, c’est à peu près le rôle social des enfants : on leur explique ce qu’il faut faire, mais ils ne comprennent pas toujours la logique.

Et c’est aussi un film pour les parents. Depuis Pixar, on ne peut plus faire un film sur les enfants qui soit un pensum pour les parents. J’essaye de faire ça dans tous mes films, a fortiori dans celui-là. L’histoire peut être regardée de plusieurs endroits différents, elle n’aura pas la même signification, ni la même saveur. A la différence des films Pixar, Dreamworks ou Disney, qui s’emparent en général de ce type de thématiques, ce sont des films généralement vus du point de vue de l’enfant. Une des originalités de ce film-là, au-delà d’être français, c’est qu’il est vu du point de vue du père, ce qui donne aux parents une grille de lecture plus évidente. Les grands-parents sont eux-aussi profondément touchés, car je crois que le rapport des grands-parents – petits-enfants est le plus beau rapport humain au monde : émerveillement et liberté, pas de possessivité, ni de responsabilité directe.

Votre film offre la possibilité de savoir ce que deviennent les personnages imaginés et répond à l’envie qu’avait manifestée Philippe Katerine de savoir ce qu’il advenait de son personnage Thierry après la fin de Le Grand Bain ?

Bérénice Béjo : Les spectateurs nous demandent souvent en projection ce que deviennent Djibi et Clotilde, s’ils ont refait une famille. Moi j’ai tendance à répondre que oui et Michel a tendance à répondre qu’il s’en fiche parce que le film est fini. J’ai d’ailleurs demandé à Michel de rallonger la scène des Oubliés, car c’est tellement beau de se dire que les histoires ne meurent jamais et qu’à un moment donné on va les raconter à nouveau. Ce film a quelque chose d’extrêmement touchant de se dire que rien n’est jamais perdu et que les personnages, les histoires, les films existeront toujours. C’est même très rassurant de voir que tout est un éternel recommencement.

Peut-on voir les oubliettes comme une métaphore du métier de comédien ?

Bérénice Béjo : Oui, mais pas seulement. Ça ne questionne pas que les acteurs, mais aussi tous ceux qu’on oublie dans notre société : les retraités, les chômeurs, toutes ces personnes qui ne sont plus dans la vie active.

À quel moment avez-vous rencontré le plus de difficultés à faire cohabiter les deux univers ?

Michel Hazanavicius : Pendant l’écriture et pendant le montage. Une des grandes problématiques de la fabrication du film, c’était de trouver un équilibre et des passages qui soient les plus fluides d’un monde à l’autre. C’est toujours compliqué d’avoir deux mondes, car il faut que le spectateur ait le sentiment malgré tout qu’on raconte la même histoire. Je ne raconte pas deux histoires l’une après l’autre en clignotant, c’est une même histoire. La difficulté c’est de suivre un fil d’histoire avec deux personnages qui sont malgré tout différents, et de ne pas être trop didactique, c’est-à-dire laisser aussi la place à l’imaginaire.

Comment expliquez-vous cet intérêt pour développer dans le cinéma français ces univers magiques et fantastiques, comme dans le récent La Dernière vie de Simon ?

Bérénice Béjo : Peut-être parce qu’on a des bons techniciens en France, qu’on se décomplexe par rapport aux américains, et qu’on n’a pas à rougir de la comparaison. Et on dit aussi tellement que le monde va mal et à sa perte, qu’on a peut-être besoin de dire à nos enfants de continuer de rêver et à être positif.

Michel Hazanavicius : On est peut-être dans une période de perte de sens. La religion, la politique sont une manière de trouver du sens. La fiction, les histoires et la fantaisie vantent le fait de croire, et c’est très important de croire à des choses. Dans tous les contes il y a une morale, on a besoin de raconter des histoires.

 

Le Prince oublié de Michel Hazanavicius, en salle le 12 février 2020 –  Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.