Nos vies formidables : entretien avec la réalisatrice Fabienne Godet

Nos vies formidables : entretien avec la réalisatrice Fabienne Godet

À l'occasion de la sortie en salle ce 6 mars 2019 de "Nos vies formidables", nous avons interviewé sa réalisatrice Fabienne Godet.

Nos vies formidables est un film porteur d'espoir pour tous les toxicomanes qui veulent se reconnecter à la vie– voir notre critique.

Nous avons interviewé Fabienne Godet, réalisatrice à qui l'on doit également Sauf le respect que je vous dois ou Une place sur la terre. Elle nous a livré en toute sincérité sa méthode de travail, son souci de l'authenticité, son rôle de passeur et le fil rouge de ses films.

Pensez- vous que votre formation de psychosociologue vous aide à avoir un regard différent en tant que cinéaste ?

Fabienne Godet : Il est certain que mon métier me permet de me poser, d’étudier, d’écouter et d’observer. C’est comme une seconde nature, je ressens mais je n’en fais pas forcément quelque chose. Et comme je suis aussi très auditive, cela me sert pour diriger les comédiens, dans le sens du détail. 

De quelle façon avez-vous utilisé cette compétence pour Nos Vies formidables ?

Fabienne Godet : Comme je n’ai pas de passé de dépendante, il a bien fallu que je m’appuie sur l’observation et l’écoute des gens que j’ai rencontrés. Tant au niveau du regard que de ce qu’ils m’ont raconté et fait comprendre. Je me suis centrée sur le travail fait dans les Communautés et la compréhension du parcours des personnes dépendantes. J’ai assisté à des séances aux Narcotiques Anonymes, puis j’ai eu envie de rencontrer certains dépendants, avec lesquels j’ai eu des entretiens individuels. J’avais besoin de comprendre leurs parcours, indépendamment de leur origine sociale, même s’ils n’ont pas nécessairement eux-mêmes le recul pour expliquer ce qui les a amenés là. Puis j’ai passé un temps d’immersion dans la Communauté d’Aubervilliers, afin de comprendre comment se passait ce vivre-ensemble et la force qu’il leur fallait à tous pour devenir abstinents.

Comment avez-vous réussi à rendre vos personnages aussi authentiques ?

Fabienne Godet : C’est un film où tout est vrai et tout est faux. Car les situations sont inventées à partir des paroles entendues et les personnages sont tous fictifs mais sont un mélange cohérent de tous les parcours dont on m’a parlé. Par exemple, le personnage de Jalil n’existe pas dans la réalité mais celui qui l’a inspiré m’a dit après avoir vu le film "c’est super, mes parents vont enfin comprendre ce que j’ai vécu" ! Je me considère comme un passeur.

Comment est né le personnage de l’héroïne Margot, interprété par Julie Moulier, également co-scénariste ?

Fabienne Godet : J’avais envie d’écrire sur une héroïne, car je trouve qu’il n’y a pas assez de rôles de femmes au cinéma, et pas de rôles de toxicos. Et puis je ne voulais pas faire un film trash où on voit des gens se défoncer. Je n’ai pas écrit spécialement pour Julie, mais j’ai déjà travaillé avec elle. C’est une comédienne incroyable avec un énorme potentiel. Et puis je trouvais intéressant de mêler dans le film nos trois approches : Julie vient du Conservatoire et moi de la fiction et du documentaire. Je lui ai proposé de travailler avec moi sur l’écriture de son personnage. Elle n’a pas co-écrit les autres personnages, mais elle a beaucoup travaillé sur la préparation du tournage en résidence avec les comédiens, dont elle a aussi mis en place le casting.

Avez-vous tout de suite pensé à faire jouer au thérapeute Régis Ribes, seul non professionnel, son propre rôle ?

Fabienne Godet : Non, pas tout de suite. Pendant mon immersion, je suivais un autre thérapeute et je me demandais quel comédien pourrait jouer ce rôle, car il faut aussi savoir rebondir sur des propositions et il y a donc pas mal d’improvisations. Et puis, comme j’écris à partir d’un traitement, j’ai des idées des scènes, mais mon scénario n’est pas fermé et les dialogues ne sont pas tous écrits. Si j’avais fait appel à un comédien, il aurait fallu que j’écrive toutes les répliques. Il fallait quelqu’un "pour de vrai" et Régis, qui est lui-même un ancien dépendant formé à la thérapie, a accepté à la condition d’avoir la liberté d’improviser.

Quelles ont été les réactions des personnes que vous avez interrogées lorsque vous leur avez montré le film ?

Fabienne Godet : C’était important de leur montrer d’abord à eux. On a organisé une projection avec l’équipe, les comédiens et les personnes des Narcotiques Anonymes et de la Communauté d’Aubervilliers. C’était très émouvant car ils retrouvaient des bouts de leurs vies et dialogues dans le film et ils nous ont remercié. C’était aussi amusant car les dépendants voulaient absolument rencontrer les comédiens qui interprétaient une partie de leur vie …mais l’inverse était vrai aussi !

Vous avez l’habitude de co-écrire vos scénarios, pourquoi éprouvez-vous ce besoin ?

Fabienne Godet : Le cinéma est pour moi un art collectif, et cette coécriture est très importante. Même si je suis à l’initiative des projets et des premières versions de mes scénarios, il y a toujours un moment où j’ai besoin du regard de gens qui m’entourent et d’en discuter avec eux. Il y a mille façons d’être un auteur et de coécrire, et un interlocuteur n’est pas forcément quelqu’un qui prend la plume. Par exemple, il m'est arrivé de commencer à écrire avec Franck Vassal, philosophe et de terminer avec la scénariste Claire Mercier, récemment décédée.

Les sujets que vous abordez dans vos films sont forts, comme la souffrance au travail dans Sauf le respect que je vous dois ou la prison dans Ne me libérez pas je m’en charge. Peut-on y voir en fil rouge le thème de la souffrance ou de la solitude ?

Fabienne Godet : Je dirais plutôt que le fil rouge est la reconstruction et la libération. C’est certain que j’ai de la tendresse pour les gens à la marge et les gens cabossés. En fait, j’aime les gens qui ont traversé des épreuves et qui s’en sont sortis grâce aux autres. Et c’est aussi le sujet de mon prochain film, une fiction en phase d’étalonnage, dont je ne peux pas encore parler.

 

Nos vies formidables de Fabienne Godet, en salle le 6 mars 2019. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.