Le jour où la police française a interpellé Robert De Niro

Le jour où la police française a interpellé Robert De Niro

"Je ne reviendrai plus en France. Je déconseillerai à mes amis de venir en France. Le Festival de Cannes, j'en ai rien à foutre. Et votre Légion d'honneur je vais vous la renvoyer à l'ambassade, vite fait !". En février 1998, Robert De Niro était interpellé à Paris alors qu'il tournait le film "Ronin". Une confrontation qui avait rendu l'acteur furieux.

Un passage en France compliqué pour Robert De Niro

Fin des années 1990, Robert De Niro est une immense star. Il a entamée cette décennie avec le chef-d'oeuvre Les Affranchis de son ami et réalisateur fétiche Martin Scorsese, et le très bon Les Nerfs à vif du même cinéaste. C'est aussi à cette période qu'il réalise son premier long-métrage : Il était une fois le Bronx, sorti en 1993. En 1995, rebelote avec Martin Scorsese pour le monumental Casino et face-à-face historique avec Al Pacino dans Heat de Michael Mann.

Il tourne ensuite avec James Mangold (Copland) et Quentin Tarantino (Jackie Brown) en 1997. Puis, en 1998, il arrive en France pour tourner le thriller d'action-espionnage Ronin de John Frankenheimer, notamment aux côtés de Jean Reno.

Sam (Robert De Niro) - Ronin
Sam (Robert De Niro) - Ronin ©United Pictures International

Et c'est durant ce tournage que, toute légende vivante du cinéma qu'il est, il va se retrouver aux prises avec la police française...

L'acteur interpellé dans une affaire de proxénétisme

Le 10 février 1998, aux alentours de 9h de matin, alors qu'il récupère d'une nuit de tournage du film Ronin, Robert De Niro est tiré de son lit de l'hôtel Bristol par six policiers. Ceux-là sont mandatés par le juge N'Guyen, qui enquête depuis 1996 sur un vaste réseau de prostitution de luxe. Problème, les policiers s'étaient déjà présentés le vendredi 6 février. Mais l'acteur était parti la veille pour 4 jours aux États-Unis. Libre d'aller et venir, il ne se doute pas que cette première "interpellation" ratée braque les projecteurs sur lui, le faisant ainsi passer pour un fuyard.

Mis au courant que la presse s'emballe, alors que Robert De Niro est aux États-Unis, il téléphone à son avocat français qui écrit au juge N'Guyen. Une rencontre avec le juge est possible, mais à trois conditions. D'abord, un interprète sera assuré pour Robert De Niro. Ensuite, qu'on respecte son planning de travail et les contraintes d'un tournage de nuit. Enfin, que la démarche soit la plus discrète possible. Mais le juge ne répond pas.

Rentré en France le lundi, Robert de Niro assure le tournage de nuit et retourne donc au Bristol le mardi matin. Alors, quand les policiers sonnent à la porte de son appartement du palace parisien, Robert De Niro est furieux. Il le racontait dans les pages du journal Le Monde le 25 février 1998 :

J'étais hors de moi. Ils n'avaient aucun droit de venir comme ça. Ma femme, qui est enceinte, venait de rentrer à New York, j'avais passé le week-end à Cleveland auprès de ma mère qui se faisait opérer pour un problème cardiaque. (...) J'ai cru devenir dingue. Je leur ai dit de foutre le camp. J'ai demandé qui était le chef, et je me suis enfermé avec lui pour téléphoner. J'étais fucking crazy. J'ai appelé mon avocat, l'ambassadeur des Etats-Unis. Finalement au bout d'une heure on ne trouvait toujours pas le juge. Je dis au commissaire que j'aimerais bien dormir un peu. De combien de temps auraient-ils besoin de moi ? Une ou deux heures maximum. Je me recouche et à peine une heure plus tard, ils reviennent : `` Le juge n'attend pas, il veut vous voir tout de suite. `` Je me rase, prends une douche et nous voilà en route.

Entendu pendant neuf heures

Conduit devant le juge N'Guyen, les "deux heures maximum" annoncées se transforment en neuf heures pour Robert De Niro. Déjà furieux d'avoir été amené dans ces conditions, l'acteur de Raging Bull ne comprend pas l'acharnement et les mêmes questions plusieurs fois répétées du juge, puisqu'il est ici de son propre chef et surtout en qualité de témoin. Il raconte encore :

Le juge se faisait du cinéma lui aussi. Il me parle de ces jeunes filles dont 99 % ne sont pas des professionnelles, etc. Et moi : "certes, mais qu'est-ce que ça a à faire avec moi ?" Et de nouveau les mêmes questions : "Les connaissez-vous ? Avez-vous fait l'amour avec elles ?", etc. Et bien sûr : "Les avez-vous payées ?" Et moi : "non, je le jure sur la tête de mes enfants, je n'ai jamais payé, pas un seul foutu centime". De deux heures on était passé à neuf heures d'interrogatoire. Pour essayer de me mêler aux problèmes d'autres personnes. C'est vraiment un abus de pouvoir. (...)

Je ne blâme pas le système. Les juges ont beaucoup de pouvoir, pourquoi pas ? Mais ce juge-là en abuse. Je ne sais pas quel est son problème, mais il en a vraiment un. Il parle des gens riches et célèbres, ça l'obsède, et il se voit comme le sauveur des jeunes filles maltraitées. Même les policiers avaient l'air embarrassés par ses façons de faire.

Plainte contre le juge et fureur contre la France

Au terme de neuf heures d'un interrogatoire qu'il n'est pas près d'oublier, Robert De Niro retourne sur le plateau de Ronin, au Zénith de Paris, pour poursuivre le tournage de la séquence finale. Si cette audition sera la seule et unique, et qu'à son terme il ne sera plus sollicité par la justice dans le cadre de cette enquête, l'acteur avec son avocat Me Kiejman déposent une plainte contre le juge N'Guyen pour "entrave à la liberté d'aller et venir et violation du secret de l'instruction". Et, encore sous le coup de la colère lorsqu'il rencontre le journaliste du Monde, Robert De Niro se dit alors très remonté contre la France :

Je ne reviendrai plus en France. Je déconseillerai à mes amis de venir en France. Le Festival de Cannes, j'en ai rien à foutre. Et votre Légion d'honneur je vais vous la renvoyer à l'ambassade, vite fait. Je ne vois pas de raison de garder ce genre de machin de la part d'un pays qui bafoue sa propre devise,"Liberté, égalité, fraternité". Je suis largement au-delà de ce qu'on appelle furieux !

Heureusement, que ce soit au Festival de Cannes ou ailleurs, l'acteur est finalement revenu en France, et a même présidé le jury du prestigieux festival en 2011.