Jusqu'ici tout va bien : le tournage de la série de Nawell Madani a été infernal selon des techniciens

Jusqu'ici tout va bien : le tournage de la série de Nawell Madani a été infernal selon des techniciens

Mediapart vient de publier une longue enquête sur les coulisses de la série "Jusqu'ici tout va bien", réalisée et portée par Nawell Madani. Les témoins évoquent la pression et la tension qui régnaient pendant le tournage.

Jusqu'ici tout va bien : les multiples casquettes de Nawell Madani

En avril 2023 débarque sur Netflix Jusqu'ici tout va bien, une série sur laquelle Nawell Madani occupe les postes de showrunneuse, coscénariste, réalisatrice, coproductrice et actrice principale. Une multiplicité de casquettes qu'elle ne souhaitait pas forcément, comme elle nous l'explique lors du Festival Séries Mania en mars 2022 :

Je n'avais pas forcément envie de jouer dedans. Je voulais me challenger et faire une série. Mais Netflix ne voyait personne d'autre que moi pour interpréter ce personnage, parce qu'il me ressemble beaucoup. Donc j'ai accepté. À un moment donné, j'ai vraiment voulu abandonner cette idée car j'avais trop de casquettes. (...) Mais on ne m'a pas laissé le choix d'interpréter Fara.

Au cours de cet entretien, Nawell Madani affirme également que le tournage, qui a débuté quelques semaines après son accouchement et s'est étalé sur 70 jours, était "'difficile" et qu'elle avait "vraiment sous-estimé le rythme d'une série". Dans une longue enquête menée par Mediapart, de nombreux techniciens ont raconté l'expérience infernale qu'a été la naissance de ce programme coproduit par les sociétés Elephant et Black Barbie, et diffusé par Netflix. L'une des personnes interrogées déclare à la fin de ce dossier :

Netflix a laissé tous les pouvoirs à Nawell, qui était fatiguée mais aussi inexpérimentée pour occuper tous ces postes. Ils l’ont mise là parce qu’elle est connue, parce qu’elle a des millions d’abonnés, mais elle n’avait pas les épaules et c’est nous qui en avons payé le prix.

Crises de nerfs, insultes et stress post-traumatique

Mediapart a dévoilé plusieurs épisodes de la production dans son enquête, parmi lesquelles une situation dangereuse et non planifiée où une comédienne n'ayant pas le permis de conduire a dû prendre le volant pendant plusieurs minutes avec plusieurs autres membres à bord du véhicule, dont Nawell Madani et un technicien-son n'ayant pas été prévenu au préalable. Sous couvert d'anonymat, les témoins évoquent par ailleurs un tournage extrêmement bruyant et tendu, marqué par des cris incessants pendant plusieurs semaines, ainsi que des changements d'organisation réguliers et éreintants.

Jusqu'ici tout va bien
Fara (Nawell Madani) - Jusqu'ici tout va bien ©Netflix

Une personne renommée Éliane assure que "ce tournage n'a été qu'une grande souffrance". Membre de l'équipe image dont la prénom a aussi été changé, Lou déclare quant à elle souffrir de "stress post-traumatique" depuis la fin de la production selon sa psychologue. Technicien-son, Yann se souvient à propos de l'atmosphère agressive qui régnait sur le plateau :

Ce tournage nous a transformés. Il y a eu pour tous un moment où on ne s’est pas reconnu parce qu’on a été agressif ou désagréable à cause de cette tension permanente.

Il précise que "les hurlements, c'était en permanence" et qu'il allait "bosser la boule au ventre tous les jours". Des techniciens aux comédiens, personne n'est apparemment épargné même si Kahina Carina, interprète de Souhila, affirme que "le tournage s'est très bien passé, dans des conditions normales et tout à fait professionnelles". Carima Amarouche, qui incarne Yasmina dans le programme, assure de son côté qu'elle n'a "rien à témoigner de particulier".

Jusqu'ici tout va bien
Jusqu'ici tout va bien ©Netflix

Des versions qui différent de celles de nombreux techniciens. Éliane revient par exemple sur un incident survenu dès le premier jour des prises de vues, le 26 janvier 2022. Devant apparaître dénudée sous la douche, Nawell Madani est alors "très gênée" selon la témoin. Une scripte la rassure et la réalisatrice rétorque, en faisant référence à son orientation sexuelle devant tout le reste de l'équipe :

Oui mais tu dis ça parce que tu veux me bouffer la chatte.

Une scène "hallucinante" pour Maëlle, qu'André dénonce dans la hotline Netflix dédiée au harcèlement après en avoir été informé. Il n'est apparemment pas le seul à partager des alertes via ce dispositif mais d'après André, elles n'arrangent la situation générale. Par la suite, Nawell Madani s'entretient avec la scripte par téléphone, "se retranche derrière l'humour et finit par s'excuser".

Plusieurs membres de l'équipe ont quitté le tournage

En avril 2022, un référent Netflix se rend sur le plateau, après le départ de plusieurs membres de l'équipe, dont celui du directeur de production et du régisseur général. Celui-ci rappelle les engagements du géant du streaming, dont "le respect de la qualité des conditions de travail", et sa mission est de veiller à ce qu'ils soient appliqués. Selon Éliane, "il n'est pas hyper impliqué". À l'inverse, Arthur estime qu'un tel dispositif "pousse parfois les gens à témoigner pour pas grand-chose", même s'il ne conteste par leur utilité.

Lors de la venue du référent, Guillaume Renouil, producteur chez Elephant, admet qu'il s'est passé "des faits suffisamment problématiques, graves et inappropriés" pendant les premiers mois du tournage de Jusqu'ici tout va bien. Ce constat a donné lieu à "une conversation" entre la société de production, Nawell Madani et Netflix dans le but d'apaiser et d'améliorer la situation, comme il l'explique face à toute l'équipe le 26 avril 2022. Le "travail fantastique" effectué par tous les collaborateurs est salué dans la foulée.

Jusqu'ici tout va bien
Jusqu'ici tout va bien ©Netflix

Quelques minutes plus tard, Nawell Madani assure qu'elle est "hyper heureuse" d'être présente, évoque le tournage "douloureux", la pression "énorme" qu'elle subit et espère que les membres de l'équipe seront "heureux de voir leur nom au générique". Selon plusieurs témoins, la showrunneuse est régulièrement à bout et en larmes durant la production, épuisée et devant notamment faire face au manque de sa fille.

À la fin de l'enquête, Jean-Pierre, membre de l'équipe décoration, déclare que "le rythme de travail pour les séries diffusées sur les plateformes est très intense, la cadence est intenable". À ce sujet, Netflix affirme à Mediapart qu'elle ne met aujourd'hui plus en chantier des projets aussi rapidement.