Bronx : stop ou encore pour Olivier Marchal ?

Bronx : stop ou encore pour Olivier Marchal ?

CRITIQUE / AVIS FILM - Disponible sur Netflix depuis le 30 octobre, "Bronx" est un pur Marchal, ivre de testostérone, de violence et de tragédie policière. Un film qui, seize ans après "36 quai des Orfèvres", interroge au-delà de sa propre histoire.

Bronx : à la nuit tombée

Disponible sur Netflix depuis le 30 octobre, Bronx, le nouveau polar bourru d'Olivier Marchal, est encore à cet instant dans le Top 10 quotidien France de la plateforme et se trouvait encore dans la catégorie générale de ses programmes populaires du moment il y a quelques jours. Si les audiences ont donc l'air au rendez-vous, les avis du film sont mitigés, tendance négative. Trop violent, aléatoirement interprété, cliché, confus, "burné" jusqu'à la caricature... Il existe cependant deux regards sur le film, celui du profane et celui du spectateur historique de Marchal. Deux vues différentes qui disent combien son principe et ses thèmes, jusqu'à ses clichés, quasi immuables depuis 36 Quai des Orfèvres, racontent plus pour Bronx que l'histoire d'un simple film.

Depuis Gangsters en 2002, son premier long-métrage, Olivier Marchal (voir notre interview ici) se construit une œuvre policière peu commune. À côté de ses cinq films (36 Quai des Orfèvres, MR 73, Les Lyonnais, Carbone et Bronx), il a aussi créé Braquo, Borderline et Section zéro pour la télévision, et officié en tant qu'acteur et scénariste pour un grand nombre de téléfilms du genre. Il l'aurait souhaité différent, il n'aurait pas pu empêcher que Bronx soit une parfaite synthèse de son style et de ses thématiques.

BRONX © Mika Cotellon

Les cuirs râpés par les bastons, les barbes négligées qui racontent les insomnies et l'hygiène de vie toute relative des personnages de Marchal, leurs insultes, leurs affrontements permanents qui confinent au concours brutal de masculinité... On ne pourra pas enlever à Marchal qu'il a, avec d'autres mais lui en première ligne, remis au goût du jour le polar au cinéma, le film noir de "gueules", et beaucoup participé à redonner de la saveur à un genre qui avait été relégué à l'arrière-plan dans les dernières décennies du XXème siècle. Bronx ressemble à Braquo, et à 36 Quai des Orfèvres, particulièrement. Centré sur des flics plutôt que sur des voyous, à la différence de ses deux derniers films Les Lyonnais et Carbone, Olivier Marchal revient avec Bronx à ce qu'il aime, ce qu'il a été - un peu -, et ce qui lui semble important.

Mais dans Bronx, l'équipe n'a pas la gouaille des flics de Braquo - résultat à la fois d'une géniale intention et d'une sur-écriture surréaliste -, ni l'amusement à peine dissimulé du trio de 36, Auteuil - Dussolier - Depardieu, à raviver des idées et des envies de cinéma. Si la filmographie de Marchal ne s'est jamais déroulée dans la lumière et la chaleur de jours heureux, la noirceur de Bronx est de très loin la plus prononcée, prenant le pas sur l'énergie des débuts, et tout semble comme à la peine.

Bronx est très violent, parfois jusqu'au malaise, avec des scènes qui peuvent être choquantes. L'intrigue est sèche, aride, beaucoup plus simple que celle de 36 quai des Orfèvres ou de Les Lyonnais. Il y a bien plusieurs clans, mais plus ou moins bien identifiés, et plusieurs enjeux inégalement exposés qui vont inutilement compliquer la "guerre" entre BRI et BRB, fondée sur la corruption d'un des leurs. Face à des collaborateurs proches de Marchal comme Gérard LanvinFrancis Renaud, Patrick Catalifo, Moussa Maaskri, des nouveaux tiennent les premiers rôles, Lannick Gautry et Stanislas Mehrar en tête. À leurs côtés, une première aussi pour Kaaris (notre interview ici) et David Belle. Pour la gloire, Olivier Marchal accueille des participations de Jean Reno et Claudia Cardinale.

Une tragédie policière, jusqu'à la lie

Avec tous ces éléments, Bronx offre quelque chose de troublant. Tragique au possible -  on sait trop rapidement que tout va mal se finir -, très violent, Bronx nous emmène avec sa manière on ne peut plus "marchalienne" vers un endroit cependant différent. Le film est crépusculaire, une sorte de fête du style Marchal dont on sortirait en ayant bien consommé et avec un petit mal de crâne. Et comme un arrière-goût de soirée d'adieu. Bronx est le "dernier" film de Marchal, et le "dernier" d'une œuvre multiforme impressionnante, inévitablement inégale, ses traits géniaux et ses gamelles.

Pour l'auteur Olivier Marchal, le monde se partage en deux : la criminalité et la police. Pas entre le Bien et le Mal, équitablement partagé entre ces deux mondes, mais bien les hommes et les femmes, surtout les hommes, qui font ces deux mondes. Fasciné par la violence et la mort, Bronx ne laisse aucun de ses protagonistes et antagonistes (difficile de les partager) indemnes. Ce goût assumé pour la tragédie ne suffit pas à décrire la violence de l'acte final du film ni, dans sa globalité, son caractère de film "sans suite". Consciemment ou pas, malgré ses quelques nouveautés au casting, Bronx ferme un cycle, une boucle qui nous montre le présent tout en nous ramenant aux origines et à la période 36 quai des Orfèvres.

Sur un air de marche funèbre

Si l'on ne connaît pas la filmographie d'Olivier Marchal, Bronx risque de sembler confus, outrageusement violent et comme hors sol. À l'inverse, si on connaît le travail du réalisateur, et pour peu qu'on y ait goût, Bronx a quelque chose de crépusculaire et d'abstrait, l'intérêt du scénario s'évanouissant de lui-même, comme pour signifier que ce théâtre de marionnettes violentes ne vit plus que sur des personnages perdus, à la recherche d'un honneur lui aussi perdu, dans n'importe quel lieu et à n'importe quel moment. Les voitures ont des carrosseries noires, les blousons sont en cuir noir, les flingues en métal noir, les bonhommes bruns et barbus...  Moins écrit qu'un film de Jacques Audiard, moins esthétique qu'un film de Julien Leclercq, Bronx est un pur Marchal qui tourne sur lui-même.

Bronx
BRONX © Mika Cotellon

Un peu à la manière du cycle mafieux et yakuza de Takeshi Kitano, dont il propose une conclusion avec le triptyque Outrage, le temps d'acter la disparition des traditions et le baroud d'honneur, aussi futile soit-il, est arrivé. Signe des temps, c'est sur Netflix que Bronx est à voir. D'abord prévu à une date de sortie pas très éloignée de BAC Nord de Cédric Jimenez, polar "neuf" et potentiel pionnier du renouveau du genre qu'on devrait voir, lui, au cinéma, Bronx raconte en réalité bien plus qu'une tragédie policière. À l'instar de grands réalisateurs américains qui ont acté avec des chefs-d'œuvre la mort d'une partie de leur cinéma en 2019, et toutes proportions populaires et critiques bien gardées, le Bronx de Marchal serait-il un geste proche de celui de The Irishman de Scorsese ?

Pour les amateurs d'Olivier Marchal, Bronx aura ce mérite de poser la question, et d'interroger son public sur le chemin parcouru. Pour les autres, Bronx, une vignette entre mille autres dans les catégories Netflix, risque de taper trop fort, et trop à côté.

 

Bronx d'Olivier Marchal, sur Netflix à partir du 30 octobre 2020. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Selon qu'on appartient ou non aux fans de Marchal, "Bronx" sera reçu très différemment. Pièce peut-être finale d'une œuvre policière conséquente et par endroits remarquable, construite depuis presque 20 ans, son crépuscule a quelque chose de doux amer.

Note spectateur : 3 (2 notes)