Dérapages : quand on n’a plus rien à perdre

Dérapages : quand on n’a plus rien à perdre

CRITIQUE / AVIS SÉRIE - "Dérapages" est une série aux enjeux complexes, adaptée de son roman « Cadres Noirs » par le romancier Pierre Lemaitre, qui aborde la façon dont un homme à terre peut parfois se relever dans des circonstances exceptionnelles. Avec Eric Cantona et Alex Lutz.

Dans la série Dérapages, qui commence le 23 avril prochain sur Arte et est accessible dès le 16 avril sur le site, le réalisateur Ziad Doueiri interroge le spectateur : comment descend-on de la case Directeur des Ressources Humaines dans une grande entreprise à la case prisonnier ? Quelles sont les circonstances qui font qu’on passe de la lumière aux ténèbres et qu’on laisse le côté sombre prendre le dessus ? Est-ce à cause de la frustration ? la déception ? la colère ? Est-ce une question de place qui n’est plus occupée, quand une autre se libère et est à prendre ?

Rien d’étonnant à ce que Ziad Doueiri se soit emparé de ce sujet, quand on connaît son intérêt pour tout ce qui a trait aux enjeux de pouvoir. Il avait ainsi réalisé la saison 1 et les quatre premiers épisodes de la saison 2 de Baron Noir et son film L'insulte abordait brillamment la bascule d’un être normal vers quelque chose qui le dépasse, dérogeant à ses principes. Dérapages est adapté du roman « Cadres Noirs » de Pierre Lemaitre, un temps envisagé en film, puis finalement transformé en série et adapté par lui-même avec l’aide de Perrine Margaine. C'est la première adaptation de série du romancier mais on sait déjà que ce sera la dernière, car celui qui a décroché un César de la meilleure adaptation pour Au revoir là-haut et a évoqué dans l’un de ses tweets son expérience de façon assez désabusée, dit préférer désormais consacrer son temps à écrire d’autres livres.

Quand on fait la connaissance de Alain Delambre, il est au chômage depuis six ans. Il était directeur des ressources humaines dans une grosse boite mais n’a pas réussi à retrouver du travail, car il fait partie des seniors sur lesquels les entreprises ne veulent pas investir. Ses économies ont rapetissé et ses remboursements du prêt de son appartement ont commencé à le prendre à la gorge. Alors, petit à petit, il a sombré dans la déprime, puis dans la dépression. Il est devenu un ours, qui se mure dans le silence. Se rapprochant de l’animal, autant par ses grognements que par son comportement de moins en moins respectueux d’autrui, et de plus en plus violent. Il vivote en bossant dans un entrepôt de type Amazon et est devenu pote avec Charles (Gustave Kervern), qui se révélera un soutien assez inattendu par la suite.

Plus dure sera la chute

Alain connaît la déchéance et la honte qui va avec. Et même s’il a la chance d’être bien entouré et soutenu par sa femme Nicole (Suzanne Clément) et leurs deux filles, il souffre de leur regard porté sur lui. Lucie (Alice de Lencquesaing, à qui on donne une mention spéciale dans l’émotion qu’elle suscite) est une jeune avocate et Mathilde (Louise Coldefy) attend son premier enfant et va acheter un appartement avec son mari, banquier. Dérapages donne également à voir l’autre Alain Delambre, celui qui raconte au spectateur, depuis sa cellule de détention préventive, ce qui lui est arrivé. Il s’est rasé le crâne, est devenu un dur à cuire. Cette double narration -passé et futur- donne aussi bien une meilleure compréhension du ressenti et de l’analyse a posteriori d’Alain qu’un coup d’avance au spectateur, qui a connaissance de la stratégie d’Alain avant les faits. Mais son procédé explicatif alourdit tout de même le récit.

D’autant qu'Alain, c’est Eric Cantona. L’acteur a pourtant un fort capital sympathie, mais le réalisateur fait bizarrement le pari de garder le spectateur à distance de son personnage, sans jamais réussir à éprouver d’empathie pour lui. Eric Cantona est-il pour autant crédible en ex-directeur des ressources humaines qui souffre de son chômage ? Franchement, non, pas vraiment. Il l’est bien plus en mec bourru qui n’a plus grand-chose à perdre. Un mec qui donne un coup de boule à son patron harceleur, qui se retrouve viré et qui doit rendre des comptes à la justice. Paumé, seul, incompris… il est mûr pour basculer vers un piège improbable tendu par une très grande entreprise.

Dérapages bascule alors du drame personnel micro au thriller entrepreneurial macro, osant clairement une critique du néolibéralisme et du management à outrance qui pousse les hommes et les femmes déjà au bord du précipice à faire n’importe quoi. Alex Lutz s’essaie pour la première fois au personnage d’un PDG dans l’aéronautique (Alexandre Dorfmann). Dépeint de façon un peu trop manichéenne, Dorfmann fraye sans vergogne avec le gouvernement, n’a aucune humanité, ni conscience, est imbu de lui-même et certain de son pouvoir. Il poursuit son but d’ascension aux sommets et d’encore plus d’argent au détriment de ses collaborateurs.

Obligé, pour garder son fauteuil, de virer sans état âme des milliers d’ouvriers dans une usine, il demande à un consultant de l’aider à choisir le futur directeur de l’usine qui devra remplir cette mission. Bertrand Lacoste (Xavier Robic, qui n’est jamais meilleur que dans des rôles de sales types) monte alors un faux test de recrutement qui mènera à une simulation de prise d'otages, sous la houlette du spécialiste Fontana (Adama Niane). Alain, qui postule de façon assez confuse au poste de recruteur, se prépare à cette imposture avec l’aide de Karminsky (Yann Collette) et de Charles. On ne peut rien dévoiler d’autre de ce processus plus qu’alambiqué, mais ce qu’il faut retenir, c’est que rien ne se passera évidemment comme Dorfmann, Lacoste et Fontana l’avaient prévu et que le nouvel Alain en sortira transformé de bien des manières.

Dérapages se révèle donc une série dense et surprenante décrivant le mode survie d’un homme déchu qui retrouve sa dignité en milieu hostile, avec de très nombreux rebondissements dont la complexité des enjeux risque toutefois de perdre un peu le spectateur.

Dérapages réalisée par Ziad Doueiri, diffusée sur Arte le 23 avril 2020. Ci-dessus la bande-annonce.

Conclusion

Note de la Rédaction

"Dérapages" est une série dense qui apporte une vision autant personnelle que professionnelle de l'impact d'un piège décidé par un PDG.

Note spectateur : 2.9 (10 notes)