Gros plan sur Damien Chazelle, cinéaste musical

Gros plan sur Damien Chazelle, cinéaste musical

La sortie sur Netflix de "The Eddy", mini-série musicale, nous a donné envie de revenir sur la filmographie de Damien Chazelle. Un film de fin d'études, un court-métrage, trois longs-métrages, et maintenant une série, avec lesquels le cinéaste s'est affirmé comme une figure importante du nouveau cinéma américain. L'occasion de faire un gros plan sur un réalisateur musical !

Damien Chazelle, jeune figure du cinéma américain, est un auteur passionnant à suivre. Fils d’une mère historienne et d’un père mathématicien franco-américain, il grandit dans le New Jersey, bercé par de nombreux disques de Jazz. Adolescent, il étudie un an à Paris, où il développe sa cinéphilie, puis intègre Harvard où il étudie le cinéma – évidemment. C’est à cette époque que commence sa carrière, avec un film de fin d’études qui annonce déjà ses obsessions…

Guy and Madeline : mumblecore musical

Guy and Madeline on a park bench est un petit film, loin d’être parfait, mais très intéressant quand on connait la suite de la filmographie de Damien Chazelle. Dès son titre, puis avec son premier plan, il rend hommage aux Parapluies de Cherbourg, son film préféré avec Lola – tout deux de Jacques Demy. Le style est encore hésitant, souvent filmé comme un documentaire par manque de moyens, et nous fait penser au mumblecore, ce mouvement du cinéma typiquement new-yorkais qui a un peu disparu, avec son budget fauché et ses acteurs amateurs.

Mais on ressent déjà, dans Guy and Madeline, la passion qu’éprouve Chazelle à filmer des numéros musicaux. Que ce soit une jam de jazz en plan-séquence, pendant laquelle il filme ses amis musiciens, ou un numéro de comédie musicale dans un dinner, le cinéaste arrive à donner à son film une ampleur musicale impressionnante pour un long-métrage réalisé dans le cadre de ses études. Bien qu’il connaisse un succès très confidentiel, cela lui permet de se lancer professionnellement dans le cinéma, puisqu’il écrit ensuite deux films, Grand Piano et Le Dernier Exorcisme 2. Si le premier, un thriller avec Elijah Wood, peut laisser dès son pitch entrapercevoir des thèmes chers à Damien Chazelle, c’est véritablement la suite qui le met sur le devant de la scène.

De Whiplash à … Whiplash

Whiplash, puisque c’est de cela dont il s’agit, est tout d’abord un court-métrage, présenté au festival de Sundance. Damien Chazelle a déjà le scénario en entier, mais se dit que présenter une des scènes sous la forme d’un court-métrage est une bonne idée pour trouver des producteurs… et c’est en effet une excellente idée ! Même en tant que simple court-métrage, Whiplash possède la plupart des ingrédients qui feront le succès du long-métrage : un montage au diapason, une atmosphère musicale particulière, et une performance d’acteur sidérante. Miles Teller n’est pas encore là, mais J.K. Simmons est déjà de la partie, pour le rôle de prof sadique qui mettra ensuite son talent en pleine lumière.

Sorti fin 2014, Whiplash (devenu un long-métrage, donc) est une grande réussite. Son énergie débordante fait de cette histoire d’apprentissage une aventure épique, et éminemment personnelle pour Damien Chazelle. Il a en effet passé d’innombrables heures quotidiennes, au début de l’âge adulte, à jouer de la batterie, avec semble-t-il la même détermination que Miles Teller, son alter-ego dans le film. J.K. Simmons, lui, est terrifiant en prof tortionnaire, et livre une performance inoubliable – bien que Miles Teller, en élève d'une détermination sans faille, soit lui aussi impeccable.

Whiplash a beau avoir une narration assez simple, il impressionne par sa mise-en-scène au cordeau. Toutes les scènes musicales sont d’une intensité rare au cinéma, d’une maîtrise impressionnante pour un réalisateur aussi jeune. Ainsi, quand le film se conclut, sur un long solo de batterie, le spectateur a été agréablement bousculé ; le réalisateur, lui, semble être dans le même état que son protagoniste. Il a en effet donné tout ce qu'il pouvait offrir à son audience, jusqu’à s’en faire saigner les phalanges, pour faire éclater son talent au grand jour. Et c’est non seulement efficace, mais diablement réussi.

La La Land et First Man : fly me to the moon(light)

Quand arrive La La Land, deux ans plus tard, Damien Chazelle prouve qu’il n’est pas l’homme d’un seul film, mais un artiste à suivre. Mettons de côté l’imbroglio de la cérémonie des Oscar, pendant laquelle le film se voit attribué la récompense du meilleur film une poignée de minutes seulement. La La Land a été une réussite publique, remettant les comédies musicales sur le devant de la scène, avec une bande-originale entraînante signée Justin Hurwitz, fidèle collaborateur et ami de longue date de Chazelle.

Cependant, le long-métrage paraît parfois écrasé par ses propres références, et sa détermination à être « parfait » (plans cadrés au millimètres, acteurs qui donnent tout ce qu’ils peuvent) font du film une œuvre peut-être parfois trop extravagante pour pleinement émouvoir. Mais qu’importe : Damien Chazelle prouve qu’il a du talent, et on ne peut que se réjouir du succès qu’a connu le film. Surtout, il change de cap dès son travail suivant, en mettant pendant un temps la musique de côté.

Dans First Man, il collabore de nouveau avec Ryan Gosling, pour raconter une partie de la vie de Neil Armstrong. Et si on pouvait s’attendre à un biopic des plus classiques, force est d’avouer que Damien Chazelle ne s’est pas fait manger par la machine hollywoodienne. First man n’est en effet pas un récit héroïque sur la conquête spatiale, mais une exploration intime de la vie de celui qui a fait le plus célèbre des « petits pas ». Émouvant, bien qu’un peu long, le long-métrage montre ainsi un héros profondément triste. Visuellement, les scènes sur la Lune sont épurées, mettant en avant toute la poésie de l’astre, qui au cinéma est parfois oubliée au détriment du spectaculaire. Surtout, le film s’inscrit dans une thématique qui semble être le fil rouge de l’œuvre de Chazelle : l’abnégation à mettre en œuvre pour faire de ses rêves une réalité.

La vague de comédies musicales qui semblaient s’annoncer après le succès de La La Land n’a pas eu lieu, mais Damien Chazelle continue sa carrière, et s’est affirmé comme un des cinéastes importants de la nouvelle génération du cinéma américain. C’est donc avec un très grand intérêt que nous allons découvrir The Eddy, qui s’annonce comme une série musicale toujours impressionnante visuellement (notre critique). Le réalisateur, lui, s’attelle déjà à son nouveau film : Babylon, film sur le passage d’Hollywood au parlant, qui comprendrait des scènes musicales – évidemment. Un projet qui rappelle évidemment Chantons sous la pluie, avec notamment Emma Stone et Brad Pitt envisagés pour les rôles principaux. C’est dire si on est impatients !