Napoléon : Ridley Scott à la hauteur de l'Empereur ?

Napoléon : Ridley Scott à la hauteur de l'Empereur ?

CRITIQUE / AVIS FILM - Ridley Scott s'intéresse à son tour à la vie de Napoléon Bonaparte. Sans négliger le spectacle qu'il maîtrise toujours autant, le réalisateur propose un portrait honnête de l'homme, solidement incarné par Joaquin Phoenix.

Napoléon vu par Ridley Scott

Qui d'autre que Ridley Scott pouvait, aujourd'hui, se lancer dans un biopic sur Napoléon (1769-1821) ? Qui d'autres qu'un tel réalisateur pour capter toute la démesure du personnage, son ambition et sa complexité, traduites par ses plus grandes victoires et défaites ? S'il fut d'un temps où Hollywood n'avait pas froid aux yeux pour produire de grandes œuvres épiques avec des moyens physiques impressionnants, c'est bien moins le cas aujourd'hui, sauf pour une poignée d'élus (dont Christopher Nolan également).

Mais Ridley Scott, par son efficacité derrière la caméra, peut réclamer des centaines de figurants et de chevaux, des décors et des costumes travaillés, et une dizaine de caméras pour mettre tout cela en boîte en un minimum de temps. Le réalisateur de Gladiator (2000), Kingdom of Heaven (2005) ou encore Le Dernier Duel (2021) sait y faire, et passer après le film phénoménal d'Abel Gance (1927) ne lui fait visiblement pas peur.

Joaquin Phoenix - Napoléon ©Sony Pictures Releasing France
Joaquin Phoenix - Napoléon ©Sony Pictures Releasing France

Avec Napoléon, le cinéaste s'attaque certes à une figure emblématique de l'Histoire (l'Empereur des Français, vainqueur à Austerlitz, défait à Waterloo, entre autres), mais il n'en oublie pas d'offrir un spectacle cinématographique. C'est justement là tout l'intérêt de le voir à la tête d'un tel projet. Car s'il se montre fidèle à l'Histoire, suivant précisément les étapes du parcours de Bonaparte, il n'hésite pas à tirer des faits réels (notamment des reproductions de peintures qu'on remarque au premier coup d'œil) une part fictionnelle assumée et davantage de l'ordre du mythe.

Entre mythe et réalité

Il n'y a alors rien à redire sur ses séquences de batailles captivantes, visuellement impressionnantes, sans être trop chargées ni saccadées, et qui ne cherchent pas tant à être attrayante, mais réaliste (on est plus proche du Dernier Duel que de Gladiator). À l'image d'un passage à Toulon, qui se conclue sur un feu d'artifice pour couler les navires anglais, dont la déflagration se traduit par un fond blanc, annonciateur de la folie destructrice et vaine de Napoléon. De même que la bataille d'Austerlitz laisse entrevoir le tacticien de génie que pouvait être Napoléon, ses tirs de canon sur les manifestants parisiens révèlent son pragmatisme impitoyable.

Cependant, Ridley Scott reste en surface de ces questions militaires et du caractère exceptionnel de l'homme sur un champ de bataille. Faute de temps sans doute (un montage de 4 heures sera disponible sur Apple TV+). Mais aussi et surtout parce que la vie amoureuse de Bonaparte prend une part importante du long-métrage. Un mariage loin d'être heureux avec Joséphine de Beauharnais (1763-1814), qui témoigne de la petitesse paradoxale de Napoléon. Et c'est là que l'approche de Ridley Scott s'avère pertinente. Le réalisateur représentant, certes, la grandeur du chef militaire, mais sans cacher ses doutes, ses humiliations (cocufié par son épouse), son caractère problématique, tyrannique, et en rien séduisant.

Vanessa Kirby et Joaquin Phoenix - Napoléon ©Sony Pictures Releasing France
Vanessa Kirby et Joaquin Phoenix - Napoléon ©Sony Pictures Releasing France

Il n'y a qu'à voir cette scène où, pour vérifier ses capacités à avoir un enfant, tout penaud, il entre, sous les ordres de sa mère, dans la chambre d'une jeune fille de 18 ans qui l'attend bien sagement pour avoir un rapport sexuel. Le choix également de Ridley Scott d'expédier le couronnement de Napoléon, d'en retirer tout caractère sacré, s'ajoute à la liste des plans visant à ramener le mythe à hauteur d'homme. Il fallait alors bien un acteur de la trempe de Joaquin Phoenix pour faire passer toutes ces contradictions. Et face à lui, Vanessa Kirby en impose en Joséphine, également porteuse de paradoxes. Les paradoxes d'une femme possédée par un homme, qui craindra malgré tout d'être abandonnée par celui-ci.

Un film qui a encore plus à offrir

Là encore, la relation entre Joséphine et Bonaparte mériterait d'être davantage creusée, tant Ridley Scott ne cache pas sa complexité. Les qualités du film sont donc nombreuses. Mais il y a quelque chose dans la mécanique de Ridley Scott qui semble l'empêcher d'aller au bout des chemins qu'il laisse entrevoir. Avec Le Dernier Duel, le cinéaste avait eu l'idée judicieuse de raconter un événement en trois temps, par trois points de vue différents. Ici, en suivant un tracé (trop) précis et chronologique, il perd tantôt en puissance émotionnelle, tantôt en tension dramatique, et surtout en rythme.

La faute à un montage qui paraît parfois trop simpliste. Non pas dans l'exécution des scènes (la mise en scène est plus que maîtrisée), mais plutôt dans leur façon de se succéder. Ce qui pose inévitablement, encore, la question de la durée. Sachant que le réalisateur dispose d'un montage XXL, on ressent étonnamment un manque malgré plus de 2h30 de film. Aurions-nous alors uniquement entre-aperçu les prémices d'un chef-d'œuvre ? Peut-être. Ce qui n'empêche pas cette version de se placer dans le haut du panier bien garni de Ridley Scott. Et au-dessus de moult productions actuelles.

Napoléon de Ridley Scott, en salles le 22 novembre 2023. Ci-dessus la bande-annonce. Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Conclusion

Note de la rédaction

Ridley Scott fait honneur à son sujet avec "Napoléon", biopic maîtrisé et qui ne cherche pas à glorifier Bonaparte, tout en restant honnête sur les exploits qu'il a accomplis. On ressent cependant un certain manque autant sur la vie militaire qu'amoureuse de l'Empereur des Français.

Note spectateur : 2 (7 notes)